mardi 19 septembre 2017

FLORENT MAUDOUX: L’œil du tigre.

Interview de Florent Maudoux





Bonjour Florent Maudoux, tout d’abord, comment vous est venue l’idée d’être auteur ? Je rappelle juste ce qu’on m’a dit : « un auteur est scénariste et dessinateur » c’est exact n’est-ce pas ?

Alors celle-là on ne me l'avait jamais faite. D'habitude on me demande comment j'ai eu l'idée de Freaks. En fait on ne décide pas un jour de devenir auteur, on l'est au fond de soi, puis parfois la chance vous tombe dessus de réaliser votre rêve.


Est-ce le dessin ou le fait de raconter des histoires qui vous ont attiré le plus ?

C'est le fait de raconter des histoires avec des dessins qui me fait le plus vibrer.


Sur Label 619, j’ai vu votre travail déjà conséquent, mais une chose m’a surpris c’est ceci :

« Florent Maudoux croise la plume avec Ophélie Bruneau dans ce nouvel avatar de l’univers de Freaks’ Squeele ! C’est maintenant en roman que  l’auteur décline les aventures de ses superhéros déjantés »



Alors nous allons reprendre depuis le début :

Comment présenter Freak’s Squeele en quelques mots ?

C'est l'histoire de trois étudiants super-héros un peu loser qui se rendent compte que la fac dans laquelle ils se sont inscrit est une immense escroquerie.



Il existe une série de base et des histoires qui en découle, c’est bien cela ?

Oui, mais ces histoires peuvent se lire indépendamment. Elles ont toutes un début et surtout une fin. Je déteste les spin-off qui n'ont ni queue ni tête et qui ne peuvent se comprendre qu'à la lumière du matériau d'origine.

Comment lire votre œuvre avec le plus de profits ? Parce que si j’ai bien vu, il y a la série Freak’s Squeele en 7 tomes, il y a Freak’s Squeele Rouge en trois tomes, Masiko un one shot, Funérails 1 à 3, le Tome 1 du manga inédit de Chance, et le fameux roman.

Je recommanderais à tout lecteur de commencer là où il en a envie. En fonction du pitch ou de la couverture, voire du style de dessin puisque je ne suis que le scénariste de Rouge. Je suis d'ailleurs très content et fier que certaines personnes préfèrent Rouge à Freaks.

(Votre humilité vous honore)



Pourquoi avez-vous choisi deux éditions pour la série Freak’s Squeele, l’une en couleur, l’autre en NB ?

Je n'ai pas vraiment choisi mais plutôt subi l'édition couleur.

Quelles sont vos inspirations principales pour avoir créé cet univers ?

Voilà la question que tout le monde me pose. La réponse reste la même : la vie, l'actualité, les femmes.

Une école pour sur-doué, cela n’est pas trop du déjà vu ? Je pense à l’école de Xavier fort célèbre ou même dans certains manga japonais.

C'est pour ça que le pitch ne tourne justement pas autour d'une école de super-héros, mais une école de super-tocards. Au début je voulais même créer une école de super-vilains, mais je n'étais pas à l'aise avec l'idée que des jeunes puissent volontairement s'inscrire dans un tel établissement.



Quel est votre personnage préféré que vous avez créé ?

Aucun en particulier, je les aime tous du plus abjectement petit au plus lumineux. Ils n'existent pas les uns sans les autres.

Ces personnages sont-ils vivants pour vous ? Parce que pour un lecteur, ils le sont !

Oui, dès l'instant où les lecteurs leur donnent ce surplus de vie, les personnages de Freaks échappent à mon contrôle. C'est même le sujet sous-jacent de la série : à quel moment est-on vivant ou mort ? Comment devient-on le héros de sa propre histoire ?

Pouvez-vous nous parler des principaux personnages ?

Je ne ferais que paraphraser le contenu de Freaks. Et je ne peux pas résumer 14 tomes de BD en une phrase. L'avantage de développer des personnages sur autant de pages c'est qu'ils peuvent sortir de leur archétype.



Aimez-vous faire souffrir vos personnages ?

Non. Mais j'apprends à le faire plus souvent, parce que s'ils surmontent ces épreuves, ils en sortent grandit.

Comme je n’ai pas encore tout lu, je vous pose une question qui peut-être a la réponse dans votre œuvre. Pensez-vous qu’un de vos principaux personnages puisse mourir ?

C'est déjà arrivé. Je tiens aussi à préciser qu'il n'y a pas de résurrection dans Freaks. La Mort est quelque chose d'irrévocable. Comme... Dans la vraie Vie.



Vous donnez-vous des limites pour l’écriture de vos histoires ?

Oui, c'est normal et c'est saint de faire attention à ton général d'une série. D'ailleurs c'est pour ça que Freaks se décline en spin-off, ils ont tous une identité : afin de ne pas sortir du contrat passé avec le lecteur sur un titre. Une série c'est une affaire de confiance, je ne peux pas faire n'importe quoi sous prétexte que je suis le seul maître à bord. Trahir la confiance des gens c'est mauvais.



J’ai remarqué que Label 619, dans le peu que j’ai déjà pu lire, il y a quand même une certaine morale. Disons que vous dénoncez certaines dérives, par exemple dans HeartBreaker ou Janitor que j’ai lus dernièrement. Est-ce juste ?

Oui, on est des gentils garçons dans le Label. On est touchés par ce qui nous entoure et on défend des valeurs. Les œuvres sont importantes pour ceux qui les écrivent et ceux qui les lisent. Elles permettent de se mettre au clair avec ses propres démons. Boris Cyrulnik a écrit un beau livre sur la question : nous sommes responsables de ce que nous écrivons.

Attachez-vous une importance à apporter un message dans Freak’s Squeele comme vos camarades ?

Je m'inclus dans le Label, donc oui, il y a un sous-texte dans Freaks. Je me suis servi de ma déception face au système éducatif pour écrire sur le sujet. Le contrat implicite qu'il y a entre l'éducation nationale et l'élève qui aujourd'hui est complètement dévoyé. Nous payons une fortune pour subventionner des usines à chômeurs. C'est d'autant plus d'actualité que les bacheliers ont eu toutes les peines du monde à trouver une fac au début de l'été. Freaks a commencé en 2008 et presque dix ans plus tard le problème reste le même.


Il y a de l’humour dans Freak’s Squeele, est-ce important pour vous ?

Oui, parce que la Vie et la Mort c'est ça aussi. A la manière de Pratchett, j'aime beaucoup déconstruire les figures apocalyptiques comme le Faucheur, la Mort, le Diable. L'humour est un formidable moyen d'expression et j'ai une vie très drôle aussi. J'espère transmettre un peu de cette bonne humeur aux lecteurs.

Que voulez-vous que l’on retienne de Freaks’ Squeele, Florent Maudoux ?

Que c'est une œuvre honnête moins bête qu'elle en a l'air.



Nous n’allons pas aller trop loin dans votre œuvre, car il serait dommage de faire trop de spoiler. Les premiers lecteurs ont découvert votre univers et leurs aventures à la sortie de chaque volume alors il ne faudrait pas dégoûter les nouveaux (comme votre serviteur). Et nous avons déjà un résumé de chaque volume sur le site du Label 619 (voir le lien ci-dessous). Quel a été la réaction des premiers lecteurs de Freak’s Squeele ?

L'accueil a été très bon, très rapidement. Je suis peut-être arrivé sur le marché de la BD avec un format et un style qui étaient frais.

Êtes-vous sensible aux remarques des lecteurs et jusqu’à quel point peuvent-elles vous influencer ?

J'y suis sensible, après il est toujours difficile de savoir quel impact ça a réellement sur l'écriture. Mais c'est comme ça que le récit prend vie. D'ailleurs j'ai voulu faire un hommage aux lecteurs dans le dernier tome de Freaks.

Freak’s Squeele a été traduit en anglais. Avez-vous participé à la traduction, en êtes-vous content ?

Tu oublies de préciser que c'est une traduction pirate. Non je n'y ai pas participé, mais je suis très touché d'avoir fait l'attention d'un tel effort. Pour mon niveau d'anglais il me semble que c'est assez fidèle à l'original. Ceci dit, une version Anglaise officielle va voir le jour.

(Je ne savais pas pour la version pirate et je suis heureux pour l’officielle qui va sortir, bravo!)


Freak’s Squeele est classé dans Comics sur le site de Label 619 en manga sur Manga Fox, pourquoi ?

Je n'en sais pas plus que toi sur la question. Mon dessin et ma narration sont issus d'un mélange d'influences cinématographiques, BD et mangas. Pas étonnant que Freaks soit difficile à classifier.

Pour quels lecteurs avez-vous écrit Freak’s Squeele ?

Pour mes proches et ma femme en particulier, c'est aussi la BD que j'avais envie de lire. J'ai été étonné que le titre soit aussi adopté par les ados alors qu'il s'adressait à de jeunes adultes.

Y a-t-il des projets autour de Freak’s Squeele ?

Un livre de jeu de rôle va voir le jour. Pour le reste on verra.


Si quelqu’un venait et vous proposait un film comme ce fut le cas pour Valérian, quelle serait votre réaction ?

Ça dépend qui se propose de faire le film et avec quel argent. Je commence à mieux comprendre le milieu du cinéma et c'est avant tout une question de financement et d'influence.

Avez-vous vu le film « Valérian » ?

Non, mais si la question est de savoir si je participe au Besson bashing, alors non, j'ai bien aimé Lucy par exemple. Après je ne suis pas fan de tous ses films non plus, mais c'est quand même le gars qui a fait Léon.



Que pensez-vous des adaptations cinématographiques des comics ou des mangas papiers au cinéma ?

Ça dépend des titres, il y a des films plus ou moins réussis. J'ai bien aimé Watchmen, mais par exemple je préfère les versions manga de Nausicäa et Akira. Pour Mutafukaz c'est encore autre chose, comme j'ai participé au film c'est différent.
En général je préfère oublier le matériau d'origine pour aborder le film comme un nouvel objet culturel. Par exemple j'aime Dune le livre et le film de Lynch pour des raisons totalement différentes.

Quel est, pour vous, le film le plus réussi ?

C'est une question qui appelle une réponse subjective ou objective ?

(Ah c’était plutôt une réponse objective que j’attendais, mais ce n’est pas important)



Quelques mots sur Doggy Baggs 1 et 6 auxquels vous avez participé ?

J'ai aussi participé au 3 ainsi qu'au 13.
Les doggybags sont souvent vus comme des grosses rigolades. Mais comme toutes les BD 619, il y a pas mal de réflexion derrière.

Que lisez-vous ces jours Florent Maudoux en comics, en manga , en bande dessinée « Franco Belge »  ou autre?

Je ne fais pas de distingo entre les comics, manga et BD. Si je dois citer un titre : To your Eternity de Yoshitoki Oima.


Pour vous qui est LE maître absolu de la bande dessinée ?

Aucun auteur de BD n'a de maître, c'est le privilège de bosser dans un milieu qui doit se réinventer à chaque génération.

Pour vous quels sont les bédés (tous genres confondus) incontournables, celles qu’il faut lire une fois au moins.

Personne n'est obligé de lire quoi que ce soit. Si je cite des noms ça va induire un biais chez le lecteur qui va se sentir obligé d'aimer ou de détester en fonction de s'il a ou non aimé mon travail. Je ne veux porter préjudice à aucun de mes collègues, même à ceux qui sont morts.

Avez-vous lu Bandette ?

Non.

Votre auteur de bédé préféré ?

La réponse varie selon les périodes de ma vie. En ce moment j'aime bien Minetaro Mochizuki. Je trouve sa narration d'une élégance rare.

Votre musique ?

Creedance Clearwater Revival.



Votre écrivain ?

Alain Damasio.



Et votre cinéma ?

Celui des frères Coen.


Ce qui nous amène à poursuivre ce petit questionnaire, petite torture, eh eh eh, que tous les artistes doivent affronter, mais vous, vous aurez la dose, Florent, cela vous apprendra de nous renvoyer à l’école. En deux mot que pouvez-vous dire sur :

Je n'ai pas envie de répondre à ce jeu. Désolé mais ça ne présente aucun intérêt.

(Bien vous en avez la totale liberté, merci pour votre franchise)











Une fois que j'aurais tout lu Freak's Squeel, nous en reparlerons sur BAZAR COMICS. Merci encore à Florent Maudoux pour sa patience sa gentillesse, sa franchise. 



Liens: 




Ichigo Samuru


jeudi 7 septembre 2017

Séverine Tréfouël: IRENA, pour qu’elle puisse « vivre » à travers le temps

Interview de Séverine Tréfouël 




Bonjour Séverine, je vous remercie de m’accorder une interview concernant la bande dessinée « IRENA ». Nous allons aussi parler de votre travail. Vous êtes scénariste, c’est bien cela ? Pouvez-vous nous dire deux mots sur ce qu’est un ou une scénariste ?

Un scénariste s’occupe de la création et de la narration d’une histoire dans un album de BD. Cela commence par trouver un concept qu’on développe, réfléchir à comment on va le raconter, trouver les personnages, un univers, une ambiance, beaucoup se documenter …. Une fois cela fait, il faut monter un dossier et trouver un dessinateur,  puis enfin écrire le scénario complet et le découper en case, page par page,  décrire les actions et poser des dialogues.

Pourquoi êtes-vous devenue scénariste ?

Par passion pour la BD et une rencontre avec Jean-David Morvan qui m’a donné l’opportunité de le faire. Je lisais des BD dès l’âge de 10 ans dans la bibliothèque municipale de ma ville et je n’ai jamais quitté ce milieu depuis.

Dessinez-vous ?

Ponctuellement, pour le loisir. Ado, je dessinais beaucoup. J’ai arrêté par manque de temps en faisant des études supérieures puis en entrant dans la vie active.



« Un scénariste réfléchit tout le temps » (Séverine Tréfouël)

Combien de BD avez-vous écrites en tant que scénariste ?

Pour être précise, je suis co-scénariste pour le moment avec Jean-David Morvan, Irena est notre sixième album. J’ai travaillé pour la collection Magnum Photos chez Dupuis Aire Libre, un album sur Robert Capa avec Dominique Bertail au dessin, un sur Henri Cartier Bresson avec Sylvain Savoia et un sur Steve Mccurry avec Kim Jung GI, un quatrième est en préparation sur le photographe Abbas. J’ai aussi travaillé sur un album jeunesse chez Glenat : Youth United avec Wuye, un dessinateur vivant à Hong Kong. Un autre album Jeunesse chez Delcourt : Ocelot, le chat qui n’en était pas un, dessiné par Agnes Fouquart. Actuellement on termine le Tome 3 d’Irena avec David Evrard au dessin.

Pensez-vous que la BD soit un moyen important de communication ?

Oui car cela touche tout le monde, le jeune public notamment. C’est un moyen ludique pour lire et découvrir plein de choses.  Le support rend accessible des sujets que les gens n’iraient pas forcément voir et cela permet d’apprendre tout en s’amusant, c’est un très bon moyen de communication aussi.

Pourquoi avez-vous choisi d’écrire avec Jean-David Morvan, qui d’après ce que j’ai appris de lui est une grande figure de la BD ? Pourquoi avoir choisi d’écrire « IRENA » ? C’est vous qui avez choisi David Evrard et Walter et pourquoi ?

C’est Jean-David qui m’a choisie, il est rémois comme moi, bon client de Bédérama (voir l’article sur Bédérama. Ichigo),  on s’est rencontré dans la librairie. Je lisais beaucoup de ses albums et je connaissais très bien ses influences. A cette époque, il cherchait un/une co-scénariste mais je ne l’ait su qu’après et moi j’avais à ce moment là l’envie d’écrire un texte à moi,  il m’a encouragé à le faire et a lu le résultat. Suite à cela il m’a dit « on va bosser ensemble » et j’ai accepté. Notre collaboration a marché très vite et nous continuons donc.
David Evrard et Jean-David Morvan étaient étudiants ensemble à l’école de BD de St-Luc à Bruxelles.  Ils se connaissent depuis longtemps, le style graphique de David collait parfaitement à ce que nous cherchions pour Irena, Jean-David lui a très vite proposé le projet.
Walter, travaille très souvent sur les albums de Jean-David, c’est un excellent coloriste et nous lui faisons pleinement confiance.




Avez-vous dû faire beaucoup de recherches historiques sur Irena Senlerowa et sur le ghetto de Varsovie ?

Oui énormément : comme c’est une histoire vraie, j’ai lu des livres sur Irena dont « La vie en bocal », « La mère des enfants de l’holocauste ». J’ai regardé de nombreux documentaires sur la seconde guerre mondiale pour maîtriser le contexte, cherché des photos d’époque, vu des films comme « Le pianiste », « Le fils de Saul », « La liste de Schindler ». J’aime me nourrir de tout ce qui peut nous mettre en condition pour plonger dans cette histoire.

Connaissez-vous le judaïsme ?

Pas énormément, le minimum je dirais et les bases pour être crédible quand on raconte une histoire sur l’holocauste. Personnellement je suis athée.

Regardons la BD plus en détail :





L’obersturmführer, fait penser aux méchants dans Tintin, est-ce voulu ?

Je crois oui, c’est David qui s’en est inspiré et je trouve ce clin d’œil très réussi.

La bédé est très belle.

Merci. On fait tous de notre mieux pour cela.




Il y a cette innocence des enfants qui est comme un contre-pied avec la dureté du monde adulte. Est-ce voulu ?

Très voulu, c’est le concept. Nous avons pris parti que les enfants pouvaient encore rêver et être optimiste même dans l’enfer qu’était le Ghetto de Varsovie.  C’est la force des enfants dans le récit, leur innocence est le moyen de surmonter les horreurs imposées par certains adultes.

Est-ce vous qui avez choisi les personnages qui gravitent autour d’Irena ?

Dans Irena, c’est surtout l’Histoire qui les a choisi, les personnages de l’album sont souvent de vraies personnes. Nous ne disposions pas toujours de toutes les informations nécessaires, par moment nous sommes effectivement obligés d’inventer, mais en s’efforçant de rester le plus fidèle aux faits connus et aux caractères des gens.  Nous nous efforçons d’être très respectueux de la vie de tout ces personnes dont nous faisons référence dans cette série. Il y en a des inventés, certains sont des condensés de plein d’enfants exécutés comme Nethanael. Tout le réseau d’Irena est réel. Elzbieta Ficowska, une petite fille sauvée par Irena dont nous faisons référence dans notre histoire, est aujourd’hui la porte parole de la mémoire d’Irena Sendlerowa.




Ce qu’a fait cette femme est admirable. Comment voyez-vous Irena ?

C’était une dame incroyable de par son courage et son humanité, une vraie héroïne. Elle a été nommée juste parmi les nations en 1965, une reconnaissance plus que mérité, ce serait bien qu’on ne l’oublie jamais à travers le temps.

Pensez-vous qu’aujourd’hui, dans notre monde dit civilisé, où l’enfant est roi ou abandonné (comme trop souvent c’est le cas dans les banlieues, mais pas seulement), il faudrait des « Irena » ? Disons plus d’Irena, car heureusement il en existe.

Oui, cela ne pourrait pas faire de mal dans notre société d’avoir plus de personne comme Irena.




Irena se fâche lorsque le nazi obersturmführer s’attaque au petit Nethanael. Les soldats sont dégoûtés. Le petit chien blanc du garçon, s’en prend au nazi. La scène est d’une tension extrême. Pourquoi introduire ce joli petit chien blanc ?

Dans la réalité, la petite chienne Shepsi n’était pas celle du petit garçon. C’était la chienne d’Antoni le chauffeur de l’ambulance. Quand on lui appuyait sur la patte, elle était dressée pour aboyer et couvrir les éventuels pleurs des nourrissons cachés dans le véhicule. Nous avons voulu lui donner plus d’ampleur dans le scénario en lui inventant ce passé et lui donner ainsi une vraie place dans la série.




Pendant la guerre, des témoins on vu des soldats allemands pleurer lorsqu’ils devaient arrêter des juifs. Ces soldats se faisaient insulter par les officiers SS. Est-ce important pour vous d’avoir montré des soldats humains ?

Oui parce que c’était la réalité, on ne peut pas résumé les choses à « les allemands sont tous des méchants » et « les juifs sont tous des gentils » , beaucoup d’allemands n’ont eu guère le choix et n’étaient pas forcement en accord avec ce qu’ils faisaient.  Je pense c’est important de le rappeler aussi.




La scène de torture d’Irena est terrifiante, bien que nous ne voyons pas tout. Ne pensez-vous pas que le SS qui la torture aie un trop gros gourdin ? Car Irena devrait avoir les os, les côtes, complètement brisés ! Les SS n’utilisaient-ils pas plutôt des matraques ?

Nous avons pu voir des vrais instruments de torture d’époque utilisés à la prison de Pawiak lorsque nous avons visité son musée, quand nous sommes allés en Pologne, la réalité est pire je crois bien …

Le visage du SS est « sympathique » tout d’abord, puis il devient d’un coup terrifiant. Est-ce voulu cette recherche de contraste ?

Oui. Nous ne voulions pas lui faire une caricature de vilain, c’était trop facile et je pense l’avoir fait physiquement attirant est encore plus dérangeant du coup pour le lecteur. Le physique ne montre pas ce qu’on a dans la tête et il ne faut pas se fier à l’apparence d’une personne.

Le fait d’écrire l’histoire sous forme de flash-back, surtout pendant la scène de torture, cela fait penser au film de Mel Gibson, La Passion du Christ. Ces flash-back qui contrastent fortement douceur et violence rendent l’histoire encore plus prenante.

Cela permet de ne pas avoir une histoire linéaire. Les décisions qu’on prend dans la vie ont forcément des répercussions sur le présent, le flash-back nous permet de bien voir cela.

A la mort du petit Nethanael, il voit de « l’autre côté de la barrière » les siens décédés. Lorsque Irena repose sur sa couche, à la libération d’Irena, son père décédé est là, nous sommes touchés au plus profond de notre âme. Croyez-vous à une vie après la mort ?

Moi pas du tout. Mais ce n’est parce que ne n’y crois pas que cela ne peut pas être et Irena étant catholique pouvait le penser et s’y rattacher. Irena est dans un état second après les tortures, elle pense à son père pour tenir le coup et garder espoir.

Lors de l’enterrement de Nathanael, un premier plan de la planche, en haut à gauche, un ange est à genou avec un air triste (Note : j’en ai vu de semblables dans la série The Killing) Est-ce en lien avec ce moment grave ?

Non je n’ai pas vu la série et JD non plus à ma connaissance, c’est surtout un facteur d’ambiance pour bien faire comprendre qu’on se trouve dans un cimetière.




Dans le Tome 2 on voit que les polonais, de toutes conditions, s’organisent pour sauver les enfants. Il y a même un kapo (police juive du ghetto), c’est surprenant !

C’était un homme amoureux d’une des meilleures amies d’Irena qui faisait parti du réseau Zegota.  Il aidait quand il le pouvait en facilitant leur passage entre le ghetto et la ville de Varsovie.

Endormir les bébés avec de le vodka pour les faire sortir du ghetto, est-ce vrai ?

Oui. Au départ Irena utilisait du Luminal, un puissant analgésique,  mais elle n’en avait pas toujours car c’était un médicament assez rare dans cette période de guerre. Quand elle en manquait, elle utilisait de la Vodka, c’était mieux que rien pour calmer les enfants et leur assurer un maximum de sécurité lors des transferts.




Nous pouvons voir l’importance de l’action des catholiques pour sauver les enfants. Une organisation rondement menée. Est-ce que toute cette organisation, avec toutes ces personnes et la chasse aux sorcières des nazis voyant que les enfants disparaissaient, tout cela est-ce historique ?

Oui entièrement. Le réseau s’appelait Zegota, Irena en faisait partie. Elle avait le droit d’engager des personnes proches et de confiance pour organiser les évasions. Il y avait des ouvriers, des médecins, des prêtes, un chauffeur de trame, le concierge du tribunal,  des infirmières…des personnes qui pouvaient organiser intervenir lors des évasions mais aussi des familles d’accueil pour accueillir les enfants.




Et quel effet cela vous fait-il de raconter le courage de tous ces gens ?

C’est un plaisir. Je suis contente de travailler sur un sujet fort comme celui d’Irena. Contente que cela plaise aux gens. La série a été traduite en polonais dernièrement. L’album a eu un très bon accueil et c’était important pour nous, étant le pays d’origine de notre héroïne, cela nous a beaucoup touché.

Connaissez-vous le catholicisme et son histoire ?

Un peu mais je ne suis pas une experte, j’ai fait du catéchisme pendant mon enfance et étudié l’essentiel pendant ma scolarisation.




La scène avec le méchant kapo qui veut abattre le petit chien, et l’autre kapo qui arrive calmer son collègue, est-elle basée sur un fait qui s’est réellement passé ?

Non c’est notre interprétation ce passage. Ce petit chien donne de l’air et allège le récit dans les moments durs.

Pourquoi retrouve-ton le hibou à l’arrestation d’Irena ?

Le hibou est associé au père d’Irena.  On le voit à la fin du tome 1 et permet de faire le lien avec le tome 2.






« Pour moi la scène la plus réussie du Tome 2 se trouve à la page 61 » (Séverine Tréfouël)

(Entièrement d’accord avec Séverine Tréfouël, je me permets de dire ceci en rapport avec ce moment terrible : BANG BANG BANG)

     

Si la fin est terrible, pour Irena, eh bien c’est la liberté. Cette liberté « grâce » à un nazi « corrompu » est symbolisée par une grande lumière bleue. Son papa l’accueille… la dernière page est forte et belle, pouvez-vous expliquer ce choix ?

Irena quitte une pièce sombre pour aller vers la lumière du jour. Elle est dans un état second et vient d’échapper à la mort de justesse. La dernière page est liée aux flash-back avec son père, la scène qui montre Irena en train d’apprendre à marcher dans le zoo, mais surtout a se relever après une chute, son père lui apprend la persévérance.  Cette dernière page permet aussi de laisser un doute au lecteur, un doute qui sera confirmé ou non dans le dernier tome.




Quand sortira le Tome 3 ?

Le Tome 3 sortira en janvier 2018 pour le Festival International de la Bande Dessinée qui se déroulera du 25 au 28 janvier 2018 à Angoulême.

Comment vous sentez-vous après l’écriture d’une telle histoire ?

Bien JC’est toujours enrichissant de travailler sur des sujets historiques. Le passé aide toujours à réfléchir et comprendre notre présent. Et on se demande toujours comment on a pu laisser des hommes faire cela, ce n’est pas si loin, surtout quand on regarde l’actualité de la Pologne par exemple et la montée du fascisme. Il faut rester attentif pour éviter que cela recommence.




En deux mots :

Iréna : Courage et Respect

Morvan : Famille et Confiance

Evrard : Talent et Sérénité

Walter : Professionnel et Drôle

Vos projets ? Terminer Irena,  Continuer la collection Magnum Photo et finir des autres projets dont un sur la cause animale.






Je vous laisse conclure en vous remerciant pour votre patience, votre gentillesse.

Je vous remercie pour l’interview. J’espère qu’avec cette série les gens retiendront le nom d’Irena et auront envie de parler d’elle,  pour qu’elle puisse « vivre » à travers le temps, le plus longtemps possible…

Séverine Tréfouël


Irena Senlerowa




Liens:





Ichigo Samuru

Bazar Comics redémarre

Après un arrêt qui semblait être définitif Bazar Comics reprend son envol pour je ne sais combien de temps. Nous verrons bien. Bazar Comics...

BAZAR COMICS VOUS ACCUEILLE